Avant le premier tour de l’élection présidentielle en France, Marc-Olivier Padis accordait une interview au Green European Journal dans laquelle il soulignait le choix entre stabilité et changement comme principale inconnue de ce premier tour. Quelques jours après l’élection et avant la confrontation entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron au deuxième tour, Marc-Olivier Padis nous offre en complément de son interview une courte analyse à chaud de ce que ce premier tour signifie pour la vie politique française et pour les élections législatives de juin 2017.

Quelques jours après le premier tour de l’élection présidentielle Française, et suivant l’entretien que vous nous avez donnez avant celui-ci (veuillez voire ci-dessous), quelles sont les leçons les plus importantes de la victoire de Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le deuxième tour le 7 mai and les élections législatives un mois plus tard en juin ?

Stabilité ou changement ? Les électeurs ont donc clairement choisi le changement le 23 avril dernier. Mais si ce vote ouvre la voie d’un profond bouleversement du système politique français, celui-ci ne fait que commencer et s’installera lentement.

Dans la Ve République, on considérait qu’un candidat ne pouvait être élu président de la République française qu’à trois conditions. Il fallait avoir une grande expérience politique. Il fallait être soutenu par un parti et il fallait bénéficier d’un fort ancrage politique local (comme ce fut le cas par exemple pour les derniers présidents François Mitterrand dans la Nièvre, Jacques Chirac et François Hollande en Corrèze). Ces trois conditions n’apparaissent plus nécessaires aux électeurs puisqu’ils ont choisi les candidats Emmanuel Macron, qui a lancé son mouvement politique « En Marche » il y a moins d’un an, et Marine Le Pen du Front National qui s’est toujours démarquée du fonctionnement de la vie politique française. Les deux candidats des partis de gouvernement ont été sèchement battus. En tout, depuis les primaires organisées dans les partis historiques de gouvernement (Parti socialiste et Les Républicains), cette élection présidentielle a vu les électeurs rejeter successivement 2 présidents de la République (François Hollande et Nicolas Sarkozy) et 3 Premiers ministres (Alain Juppé, Manuel Valls et François Fillon). Enfin, Jean-Luc Mélenchon et son mouvement des “insoumis” a fait, lui aussi, un bon score en dénonçant les élites politiques traditionnelles.

On ne peut pourtant pas dire pour autant que la politique française est remise en cause dans son ensemble. Certes, le clivage gauche-droite, qui organise la confrontation politique, semble avoir été supplanté par un nouveau clivage opposant la société ouverte et le repli nationaliste. Et les deux partis qui tiraient bénéfice  du mécanisme de l’alternance gauche-droite, les socialistes (Parti socialiste) et les conservateurs (Les Républicains), sont en déroute. Cependant, ces deux partis n’ont jamais pu organiser à eux seuls l’ensemble du champ politique. Ils ont toujours composé avec leurs marges et leurs alliés, communistes et Verts à gauche, centristes à droite. En outre le Front national n’est plus un phénomène émergent, qui peut se présenter comme nouveau. Marine Le Pen fait partie des figures familières de la vie politique et la présence  électorale et médiatique de son parti se banalise. La percée de Jean-Luc Mélenchon sera peut-être sans lendemain tant le mouvement des “insoumis” est organisé autour de sa seule personne. En outre, la mouvance “gauche de gauche” qu’il cherche à organiser est très rétive à toute forme de mise au pas et se déchire facilement sur les orientations stratégiques. Emmanuel Macron bouscule le système mais par le Centre, avec un programme très modéré et dans l’ensemble très classique par rapport aux grandes orientations politiques françaises. Les Verts n’ont toujours pas trouvé la bonne stratégie dans un contexte institutionnel qui leur est très défavorable. Quand ils sont présents à l’élection présidentielle, leur faible score apparaît décourageant. Et quand ils négocient un accord électoral, comme Yannick Jadot l’a fait cette année avec Benoît Hamon, ce qui est très éloigné de la culture politique française, ils passent pour des opportunistes prêts à renier leurs convictions afin de gagner des sièges de députés et sénateurs.

Enfin, Benoît Hamon et François Fillon, qui représentaient les grands partis, ont été battus pour des raisons très différentes. Fillon a été battu parce que son message politique n’était plus audible après les révélations sur l’emploi présumé fictif de son épouse, qui a en outre rendu encore plus inacceptable son discours sur la moralisation de la vie publique (c’est ainsi qu’il s’était imposé aux dépends de Nicolas Sarkozy lors des primaires) et sa thérapie de choc économique (forte réduction des dépenses publiques). Mais cela ne signifie pas que son parti est discrédité ni que ce dernier fera un mauvais score aux législatives. Au contraire, les électeurs de droite pourraient prendre leur revanche aux législatives et envoyer une large majorité conservatrice à l’Assemblée nationale. Enfin, Benoît Hamon, dont la personnalité a été appréciée et qui est sans doute le candidat qui avait fait le plus grand effort de renouvellement programmatique, a échoué parce qu’il n’a pas trouvé son espace politique entre le candidat Emmanuel Macron qui a occupé toute son aile droite modernisatrice et le candidat Jean-Luc Mélenchon qui a occupé toute l’aide gauche protestataire.

Dans l’ensemble, aucun courant politique ne s’est vraiment imposé de manière incontestable, la France apparaît très divisée et la recomposition politique dépendra encore largement du résultat des élections législatives de juin 2017. Celles-ci sont en grande partie difficiles à prévoir. En raison de la nouvelle loi sur le non-cumul des mandats, un tiers des députés sortants ne se représente pas. D’autre part, le Front national, « En Marche » et la « France insoumise » présenteront en grande partie des candidats novices. Il y aura en tout état de cause un large renouvellement du personnel politique en juin. Mais il est trop tôt pour donner une idée du rapport de force qui s’installera entre les différents groupes parlementaires.

Quels sont les principaux sujets de la campagne électorale présidentielle en France ? Quelles sont les dynamiques sociales et politiques reflétées durant cette campagne ?

La particularité de cette campagne est précisément qu’aucun thème ne s’y impose vraiment. Les candidats développent chacun leurs propositions mais aucune controverse n’apparaît centrale, tous les thèmes semblent glisser les uns après les autres. Le fait le plus marquant de la campagne, c’est celui du renoncement d’une série de responsables politiques. Renoncement, d’abord, de François Hollande, le plus spectaculaire. Fait sans précédent, le président sortant n’était pas en situation politique de se présenter à nouveau devant les électeurs sans faire courir à son parti le risque d’un échec majeur. Mais on a assisté aussi au renoncement volontaire de Yannick Jadot, le candidat Vert, pourtant choisi au terme d’une primaire et investi par son parti. Renoncement ensuite de François Bayrou, le candidat centriste, qui aurait pu se lancer après l’échec d’Alain Juppé à la primaire de la Droite et du Centre, et qui a préféré se rallier à Emmanuel Macron. Renoncement, enfin, d’Alain Juppé, qui aurait pu tenter un retour en force au moment où François Fillon s’est trouvé très affaibli par le tourbillons des affaires concernant l’emploi présumé fictif de son épouse comme attachée parlementaire. Tous ces renoncements en série signent une sorte de victoire symbolique tardive de Jacques Delors, qui avait déjà renoncé à se présenter comme candidat à l’élection présidentielle de 1995, alors qu’il apparaissait favori dans les sondages !

Le renoncement de François Hollande et l’échec à la primaire de Nicolas Sarkozy ont créé une situation inédite : les deux hommes forts des deux principaux partis n’ont pas été en situation de se présenter. Nous sommes dès lors entrés sur des terres inconnues : des candidats presque  inconnus (Hamon, Macron), un champ politique dominé par les extrêmes, un affaiblissement des deux candidats des partis de gouvernement et surtout la montée en force dans un espace centriste laissé libre à l’initiative inédite d’Emmanuel Macron.

On assiste en somme à un double mouvement d’ensemble : d’une part, l’affirmation simultanée des extrêmes, avec Mélenchon (à gauche) et Le Pen (à droite), et d’autre part un glissement d’ensemble de l’électorat vers la droite, qui oblige le candidat de la Gauche réformiste (Macron) à se situer au Centre droit de l’échiquier politique. Mais ce déplacement sur l’axe Gauche-Droite est encore complété par une autre dynamique transversale, celle qui oppose les fondamentaux de la vie politique française au grand désir de renouvellement des électeurs. Nous avons ainsi à la fois des candidats qui connaissent très bien les règles de la campagne présidentielle (Mélenchon, Le Pen, Fillon) et des candidats qui portent le désir de renouvellement de l’action politique, Hamon et Macron. Entre la stabilité du jeu électoral de la Ve République et le renouvellement, quel est le mouvement le plus fort ? Tel est selon moi l’enjeu de cette élection.

Mais si les partis politiques traditionnels sont si affaiblis, c’est qu’ils ont du mal à capter les mouvements profonds de la société et à leur donner une expression politique. C’est souvent par l’arrivée de nouveaux partis que des situations sociales qui ne trouvent pas de représentation à travers le jeu traditionnel des partis arrivent à une forme de visibilité et de prise en compte. Peut-on dire que c’est ce qu’apportent aujourd’hui le Front National, la France insoumise et En Marche ? En analysant le vote de la primaire de la droite et du centre, on a pu montrer que François Fillon avait été choisi en bénéficiant d’un « effet bocal »: c’est le cœur le plus âgé, les plus aisé, le plus provincial et le plus conservateur de l’électorat de droite, renforcé par les franges catholiques traditionnalistes repolitisées par les manifestations contre le mariage « pour tous », qui se sont mobilisées pour le choisir. Une sociologie, en somme, très classique, très « France profonde » mais oubliée par les grands médias obnubilés par les « bourgeois-bohèmes » de centre ville. Benoît Hamon, de son côté, a su renouveler en partie les thèmes du parti socialiste, notamment en parlant des modes de vie, de l’expérience vécue au travail (burn out) ou des inquiétudes liées à l’environnement et à la santé (perturbateurs endocriniens). Mais son projet de revenu universel n’a pas donné le sentiment qu’il proposait un scénario de croissance post-industrielle, même s’il a pu toucher l’expérience des « intellectuels précaires », ces jeunes diplômés condamnés à des petits emplois périphériques à l’université, au journalisme ou au monde culturel. Jean-Luc Mélenchon se situe dans la perspective classique de la « convergence des luttes » caractéristique de l’extrême-gauche, l’idée d’« insoumission » étant assez large pour fédérer les Zadistes, les militants de « Nuit debout » ou ceux qui luttent auprès des réfugiés,  à supposer que tous croient encore assez dans l’action politique pour se rallier à un candidat qui mène une campagne très personnalisée. Marine Le Pen prétend représenter les intérêts des « vrais gens », les « oubliés » de la représentation, « délaissés » des services publics. Elle attire de fait, au-delà de l’électorat d’extrême droite, beaucoup d’indécis, d’abstentionnistes, de classes moyennes déclassées ou qui craignent de l’être. Enfin, Emmanuel Macron essaie de capter les jeunes « uberisés » avec un discours optimiste sur l’innovation et les entrepreneurs. Sur l’emploi, par exemple, il rompt avec l’approche classique des dispositifs d’indemnisation et mise plutôt sur un discours d’empowerement encourageant l’initiative personnelle et les nouvelles technologies. Il essaie ainsi de créer un pont entre une jeunesse diplômée attirée par la croissance numérique et la réussite personnelle et une jeunesse socialement défavorisée qui est prête à saisir sa chance à travers le petit entrepreneuriat de la nouvelle économie.

L’Europe est-elle un réel sujet de campagne durant cette présidentielle ? Les Eurosceptiques français l’auraient-ils positionnée sur le radar politique ? Quelles sont les différentes visions de l’UE durant cette campagne ?

La campagne présidentielle française est considérée comme le principal rendez-vous électoral politique en France. Celui au cours duquel nous décidons des principales orientations du pays pour les 5 années qui suivent. Pourtant, en raison de l’inspiration gaulliste de cette élection, elle conduit à privilégier les sujets nationaux et même souverains et à faire, pendant quelques mois, comme si la France vivait sous cloche. Parce que l’élection présidentielle suppose la rencontre d’un candidat avec le pays, la campagne conduit à un vaste mouvement d’introspection nationale, qui coupe la France des réalités européennes et mondiales le temps de la campagne !

L’Europe est cependant présente comme une sorte de question préalable. Pour l’extrême droite, bien sûr, qui affirme sa volonté de quitter l’euro et l’Europe, ou plus exactement qui se propose de faire un referendum sur le sujet, en supposant que les Français choisiront le Frexit. L’ensemble du programme économique du Front national suppose que la réponse sera la sortie de l’UE et le retour à la souveraineté nationale, y compris en affirmant la supériorité de la loi nationale sur l’ensemble des traités internationaux que nous avons signés, de manière à pouvoir faire passer dans le droit ses propositions discriminatoires et xénophobes.

L’extrême gauche propose aussi un scénario de sortie, même s’il est moins clairement affiché. Jean-Luc Mélenchon affirme en effet avoir un plan A, qui consite à proposer à nos partenaires européens son projet de relance européenne (il y est question d’ « identifier nos ennemis » : le gouvernement allemand, la BCE, l’ordolibéralisme de la commission, la CJCE…). Au cas où celui-ci ne serait pas accepté, ce qui est très probable (!), un plan B nous conduirait vers la sortie. Le détail du plan B, cependant, n’est pas donné, à 2 semaines des élections, sur le site du candidat…

Les candidats des partis de gouvernement, Hamon et Fillon, restent dans la logique habituelle, mais impuissante, des élections précédentes : ils annoncent que le nouveau président élu, fort de sa légitimité, imposera ses choix à ses partenaires… On a vu à quel point cette attitude était peu réaliste avec Sarkozy et Hollande… Seul Emmanuel Macron propose une stratégie réaliste en rappelant le préalable de la confiance à reconstruire auprès de nos partenaires européens.

Le candidat Emmanuel Macron s’affiche comme le plus pro-européen, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il est le plus progressiste. Une position pro-UE est-elle compatible avec, voire même favorable à, une position pro-transition écologique et sociale pour le 21ème siècle ?

Emmanuel Macron est le seul candidat à faire applaudir l’Europe dans ses meetings. Il est également le seul à présenter un programme cohérent avec les engagements européens de la France. Il s’est déplacé en Allemagne pour rencontrer la Chancelière et il entretient de bonnes relations avec Sigmar Gabriel depuis l’époque où il était son homologue au ministère de l’économie. Son programme n’est pas très développé en ce qui concerne la transition écologique. Il a néanmoins le mérite de prévoir le financement de la transition énergétique, par un recours à l’emprunt (en profitant des taux bas actuels). L’autre grand plan d’investissement concerne la formation, ce qui répond à votre question sur le monde du travail : plusieurs aspects du programme d’Emmanuel Macron concernent la modernisation de la formation professionnelle, de la négocation sociale (priorité de la négociation et des accords d’entreprise) et de notre système de protection (intégration des professions libérales au régime général de chômage, dont la gestion serait retirée aux partenaires sociaux, réforme ambitieuse du système des retraites…).

La campagne présidentielle 2017 offre-t-elle une présentation de l’articulation entre économie, environnement et social ? La France est-elle politiquement en retard sur ce plan ou est-ce une carence uniquement attribuable au monde politique ? (Sous-jacente à cette question se trouve l’idée que l’écologie politique au sens de Gorz et Morin, c’est-à-dire pas seulement environnementaliste, est bien plus avancée dans la société française qu’elle ne l’est dans les agendas et les pratiques des partis et penseurs politiques)

Curieusement, comme je l’ai dit, bien qu’elle soit l’élection centrale pour les institutions françaises, l’élection présidentielle ne permet pas vraiment de clarifier les grandes orientations politiques du pays. On le vérifie à propos du nécessaire débat sur notre nouveau régime de croissance. Il nous faut en effet inventer une croissance plus inclusive et durable : une progression de la productivité compatible avec un haut niveau d’emploi et un découplage entre la croissance et la progression indéfinie de l’exploitation des ressources naturelles.

Mais les questions environnementales ont du mal à s’imposer en France parce que la France est un pays à Etat fort, dont la culture administrative est dominée par des grands corps d’ingénieurs : ingénieurs des mines et des ponts, des routes et du rail, de l’atome et des réseaux électriques. On les appelle les « aménageurs ». Ce sont eux qui ont permis, ou accompagné, le décollage économique du pays à travers des grands projets d’aménagements du territoire. Les grands projets comme l’aéroport Notre-Dame des Landes, la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ou encore la centrale nucléaire de 3e génération à Flamanville sont les derniers vestiges de cette politique d’équipement du territoire. Mais ces projets ne peuvent plus être menés par la puissance centrale sans l’avis du public (voir aussi l’opposition au barrage de Sivens). Il est significatif que François Hollande n’ait tranché aucun de ces débats au cours de son quiquennat. Des citoyens se mobilisent davantage pour la protection de l’environnement, en développant parfois une véritable expertise de terrain (Zones à Défendre, ZAD). Cependant, ces mobilisations ne répondent pas à la question large de la transition énergétique, qui ne pourra émerger de ce type de micro-luttes : il faut un plan d’ensemble, qui aide aussi, au-delà des pionniers des modes de vie écologistes, les ménages qui n’ont pas les moyens de payer eux-mêmes l’isolation de leur logement ou de changer de mode de transport. Des réflexions existent en France sur ce sujet, et même des propositions assez précises sur les modes de financement (Michel Aglietta), sur des scénarios d’évolution énergétique (association Negawatt) etc.

Des candidats de la campagne 2017 parviennent-ils à détacher pro-Européanisme de pro-UE (au sens des institutions de l’Union tel qu’elles opèrent aujourd’hui) ? La France est-elle « bloquée » de ce point de vue ?

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont clairement anti-européens. Emmanuel Macron affiche pour sa part son adhésion à l’Europe. Les deux candidats issus des partis de gouvernement, Fillon et Hamon, ont une position qui reflète les divisions internes de leur parti sur ce sujet. Leur solution est d’en appeler à une « autre Europe », chacun avec sa sensibilité. Pour le candidat de la droite conservatrice, François Fillon, dont le programme est centré sur l’idée du « redressement national », il s’agit de redonner à la France la première place en Europe et de défendre une « Europe des nations » en défendant avant tout l’intérêt national. Pour le candidat socialiste, Benoît Hamon, il s’agit de dire que l’austérité actuelle n’est plus acceptable mais qu’il ne faut pas sortir de l’UE pour autant. Il propose dès lors de compléter les institutions de l’euro avec un vrai parlement de la zone euro. Mais il n’explique pas comment il chercherait à convaincre les partenaires européens de la supériorité de son point de vue. Il imagine une coalition de la France avec des pays du Sud mais on ne voit guère que le Portugal avec une coalition politique proche de celle que Hamon serait capable de rassembler. D’autre part, il propose d’alléger le poids de la dette en mutualisant au niveau européen la dette qui dépasse 60% du PIB. Il reprend ainsi une idée du SPD, qui pourrait donc être acceptable par l’Allemagne si Martin Schulz gagne les élections de septembre 2017.

Finalement, quel que soit le résultat du premier tour de la présidentielle française, quels sont d’après vous les 2 ou 3 scénarios valables et viables pour l’après 8 mai ainsi que les urgences pour relancer la place de la France dans l’Europe et relancer l’Europe ?

Pour que Marine Le Pen emporte l’élection présidentielle, il faudrait que l’abstention soit très élevée. Il n’est pas impossible qu’une large part des électeurs de Gauche, qui ont gardé un mauvais souvenir de 2002 (puisque Jacques Chirac avait pris toutes les voix de la gauche sans en tenir compte ensuite dans sa politique), mais aussi des électeurs de François Fillon, frustrés d’une alternance qu’ils considéraient comme acquise, ne se déplacent pas au 2e tour. Mais si elle gagnait l’élection présidentielle, elle n’aurait sans doute pas de majorité à l’Assemblée nationale. La France entrerait alors dans une période de confusion politique et d’impuissance, avec une cohabitation et sans doute un gouvernement difficile à constituer. Dans ce cas, la France consacrerait beaucoup de son énergie à sa situation interne et elle serait peu disponible pour tenir sa place au niveau européen.

Si Emmanuel Macron l’emporte, la France pourrait avoir une politique européenne ambitieuse, crédible et imaginative. Emmanuel Macron aurait aussi du mal à constituer une majorité présidentielle mais il prendrait nécessairement un Premier ministre pro-européen, capable de faire une coalition centriste. Mais le paysage politique serait complètement bouleversé car le parti socialiste et les Républicains sont déjà au bord de l’explosion. Si Benoît Hamon et François Fillon font de mauvais scores, les facteurs de division seront encore plus forts, les clivages idéologiques vont s’accentuer, les rivalités personnelles s’exacerber. Dans ce cas, le paysage parlementaire sera profondément renouvelé avec un groupe parlementaire sans doute assez important pour le Front national, un groupe pour les « Insoumis » de Jean-Luc Mélenchon, des socialistes et des Républicains en déroute et des nouveaux élus de « En Marche » qui seront novices en politique. En tout état de cause, il y aura un important renouvellement du personnel politique à l’occasion des élections législatives de juin 2017.

La priorité pour la France est de retrouver de la crédibilité auprès de ses partenaires européens. Le bilan de François Hollande, de ce point de vue, est plutôt bon (à partir du point de vue qu’il s’était fixé ndlr). Il a mené une politique cohérente tout au long de son mandat, dont les premiers fruits apparaissent : la compétitivité française s’est améliorée, les déficits sont sur la bonne trajectoire, le chômage commence à reculer etc. Ensuite, la France doit reconnaître que l’Allemagne a accepté, pour sauver l’euro et pour faire face à la crise économique, des évolutions importantes de sa doctrine économique. Elle a accepté en particulier le nouveau rôle joué par la BCE, qui mène une politique en partie non conventionnelle. Il ne s’agit donc pas de critiquer l’Allemagne ni de créer des tensions dans les relations entre Paris et Berlin. Les avancées qui restent à faire concernent la supervision bancaire, le pilotage macro-économique de la zone euro et, en dehors des questions économiques, une stratégie de défense européenne plus résolue. Avec la pression du contexte international, les Européens ont toutes les bonnes raisons de renforcer leurs institutions mais surtout leur volonté de travailler ensemble dans un esprit de compréhension mutuelle.