En France, comme ailleurs en Europe, les écologistes trouvent souvent leur principal électorat au cœur des grandes villes comme Lyon, Grenoble ou Strasbourg, où ils sont désormais aux manettes. Tant et si bien que les écologistes sont régulièrement qualifiés par leurs adversaires politiques de « bobos des villes » déconnectés des préoccupations des zones rurales. Pourtant ces dernières sont également pleinement confrontées au changement climatique. Une nouvelle génération d’élu.e.s veut donc relever le défi de porter davantage l’écologie dans les territoires ruraux. A l’instar de Marie Pochon, nouvelle députée de la troisième circonscription de la Drôme, dont le parcours et l’engagement illustrent parfaitement ce challenge pour l’écologie politique de s’implanter aussi dans les campagnes.

* Propos recueillis en octobre 2022

Benjamin Joyeux pour le Green European Journal : – Quel parcours vous a amené jusqu’à devenir députée écologiste de la 3ième circonscription de la Drôme en juin dernier, un territoire rural plutôt terre de mission pour l’écologie ?

– Issue d’une famille d’agriculteurs, j’ai grandi dans la Drôme. J’en suis partie à 18 ans pour réaliser mes études à Lyon. Je me cherchais beaucoup à l’époque. Je suis ensuite partie en stage dans les Territoires Palestiniens où j’ai travaillé avec les Amis de la Terre Moyen-Orient sur un projet de réhabilitation dans la vallée du Jourdain. C’est à ce moment-là que j’ai eu mon réveil politique, un moment très formateur sur un territoire où se mêlaient toutes les formes d’inégalités, en termes d’accès aux droits civiques, sociaux et environnementaux. J’ai ensuite mené beaucoup de combats associatifs : avec la coordination Eau bien commun à Paris, avec Alternatiba et à partir de 2017 au sein de Notre Affaire à Tous, dont je suis devenue Secrétaire générale. Avec Notre Affaire à Tous, nous avons lancé des campagnes comme « l’Affaire du siècle », ou le premier recours en justice sur la base du devoir de vigilance en matière climatique face à Total. Je me suis engagée également dans des collectifs comme Rendez les doléances par exemple au moment du Grand Débat national.

En parallèle de ces combats associatifs, je me suis engagée à partir de 2012 au sein de la Fédération des Jeunes Verts européens. Je vivais alors à Istanbul où je suis resté jusqu’en 2016. Puis j’ai dû rentrer en France après le coup d’état. Après deux ans d’organisation des marches pour le climat à l’échelle nationale et mon engagement dans Notre Affaire à Tous, j’ai ensuite rejoint l’eurodéputée Marie Toussaint au Parlement européen fin 2019. Puis en octobre 2020, des ami.e.s d’Auvergne-Rhône-Alpes m’ont proposé d’être directrice de campagne de Fabienne Grébert pour les élections régionales. Ça m’a notamment permis de « rentrer à la maison ».

Ma candidature aux législatives n’était ensuite pas du tout une évidence. Je me sentais peu légitime, n’ayant jamais jusqu’alors candidaté à une élection. Beaucoup de gens m’ont alors encouragé et après quelques péripéties et l’accord national de la Nupes, j’ai été désignée pour être candidate dans la Drôme, là où j’avais grandi. On a alors mené une campagne très courte mais très enthousiasmante, et on a gagné.

GEJ : – Vous aviez auparavant un engagement très européen et international, alors qu’est-ce qui plus précisément vous a donné envie de vous ancrer localement sur un territoire ?

– Il va falloir s’adapter dès à présent à un certain nombre de conséquences des activités humaines sur notre environnement. On l’a bien vu cet été en matière d’eau. Et cette capacité à faire face au choc, cette résilience, je crois qu’elle se construit surtout à l’échelle des territoires. Parce qu’on se connaît, parce qu’on réussit à créer des liens de confiance et des capacités à s’organiser collectivement. En étant engagée depuis plusieurs années dans la lutte contre le changement climatique, je me suis posée la question d’une relocalisation des luttes et de la manière dont on pouvait s’organiser à l’échelle des territoires pour à la fois bloquer des projets allant à l’encontre des impératifs climatiques, mais aussi construire des alternatives à cette échelle. Ce sont des réflexions qui ont émaillé la pensée de beaucoup de gens ces dernières années, notamment avec le confinement, et ça a notamment donné lieu, alors que je militais encore avec Notre Affaire à Tous, à la naissance de collectifs comme Terres de Luttes, qui sont très inspirants en la matière. Je suis ravie de construire cela dans la Drôme parce que c’est là d’où je viens. C’était une grande fierté pendant la campagne de défendre ces idées ici, sur un territoire où il y a vraiment des mondes d’après qui se pensent et qui s’écrivent, que ce soit en matière d’écologie, de solidarité, d’innovation démocratique, etc. Finalement, le fait d’avoir été désignée candidate, et d’être aujourd’hui députée dans la Drôme était l’aboutissement de tous mes combats de ces dernières années.

GEJ : – On fait régulièrement le reproche aux écologistes d’être des « bobos des villes » hors sol, absolument pas ancrés sur leur territoire, très loin des préoccupations concrètes des gens, en particulier dans les zones rurales. Comment vous percevez cela ?

– Il faut tout de même assumer que les mouvements de gauche et écologistes, comme nombre de mouvements politiques, ont failli à entendre les préoccupations de celles et ceux qui vivent dans les ruralités. Si le mouvement des Gilets Jaunes a émergé notamment de ces territoires « oubliés », si tant de député-es RN ont été élu-es dans les territoires ruraux, c’est parce que nos institutions ont échoué à apporter des solutions à un aménagement du territoire totalement défaillant, à un modèle de grignotage des terres consubstantiel à l’ultra-libéralisme : on prend ce dont on a besoin dans les réserves d’indiens que sont devenus certains territoires (production énergétique, production alimentaire, tourisme..) et on en oublie que des gens y vivent.

Alors, oui, l’électorat écologiste est principalement urbain. Il y a également la question de nos incarnations. Si on cite un certain nombre de figures nationales ou à l’échelle locale avec les maires des grandes villes qui ont émergé en 2020, cela donne une image qui représente peu les territoires ruraux ou péri-urbains. Il faut donc assumer la nécessité de travailler davantage sur la ruralité et d’y investir des moyens et de l’énergie. On ne l’a sans doute pas assez fait et c’est pour cela que j’ai proposé un texte pour le prochain congrès d’EELV afin de visibiliser davantage les préoccupations des territoires ruraux : aménagement du territoire, relations au travail, accès aux services publics, etc. Par exemple, les territoires ruraux ont été aménagés selon le « tout bagnole » et la maison individuelle, ce qui a décuplé la distance domicile-travail et bloque aujourd’hui un certain nombre de ménages. Les écologistes doivent aussi entendre que la voiture individuelle est une nécessité dans énormément de territoires. Comme nous sommes majoritairement des urbains, nous avons du mal à porter cette parole-là.

Pendant ma campagne, j’ai totalement assumé mon militantisme pour le climat, tout en ne me focalisant pas uniquement sur la question environnementale. J’ai énormément parlé d’accès aux services publics et de désertification médicale, préoccupations majeures des habitant.e.s. Parce que dans un territoire rural comme la Drôme, le sujet majeur, c’est ce sentiment d’abandon et de condescendance des décideurs qui disent comment faire les choses depuis Paris, alors que tout paraît plus compliqué ici. Il y a un sentiment très prégnant que les lois et les grands discours médiatiques et politiques ne sont pas faits pour nous, que rien n’est adapté à la réalité locale, une impression d’être abandonnés et d’être mis à l’écart de la République, une perception sur laquelle l’extrême droite surfe sans vergogne.

GEJ : – Les Verts sont pourtant nés du regroupement d’associations de terrain qui luttaient partout sur les territoires dans les années 70 et 80 contre les grands projets inutiles imposés d’en haut. Ce reproche de déconnexion fait aux écologistes dans les campagnes, assez paradoxal, n’est-il donc pas avant tout une histoire de communication ?

– Toutes ces luttes ont nourri notre histoire. Mais aujourd’hui notre parti change aussi, et même dans son fonctionnement interne il a tendance à favoriser – parce que c’est plus simple- les métropoles. C’est souvent à mon sens une affaire de simplicité : dans les territoires ruraux, il y a nombre de militant-es et d’élu-es locaux écologistes ! Mais c’est tellement plus difficile de s’y retrouver au vu des distances, de militer ensemble, ou d’être visibilisé-es sans appui de médias nationaux ou de « grands élus » qui, depuis 2020, attirent naturellement les discours et les regards vers les grandes villes que nous avons conquises. Nous avons également gagné dans des petites communes mais ça a été moins souligné. Ce qui m’enthousiasme, c’est que ça redevient un sujet majeur pour EELV : beaucoup se posent désormais la question de la reconnexion avec les luttes dans les zones rurales.

Pendant ma campagne, je me suis aperçue que le mot ruralité n’apparaissait qu’une seule fois dans le programme commun de la Nupes. Il y avait plein d’éléments sur le retour des services publics, la lutte contre la désertification médicale, etc. Mais je n’avais par exemple aucun élément concret sur la préservation du pastoralisme, la revitalisation des centres des petits villages, sur le développement touristique… Et sur certaines questions comme la chasse ou la transformation agricole de nos territoires, nous devons avoir un discours parfaitement clair sur la transformation sociétale que nous souhaitons. Car si nous voulons transformer la société, il faut embarquer du monde, et en priorité les personnes concernées.

Sur la question pastorale, avec dans la Drôme des attaques de plus en plus récurrentes de loups sur des pâturages, on se retrouve pris dans des contradictions. Je veux être à l’écoute des éleveurs qui souffrent réellement face à la présence de plus en plus grande du loup, avec des attaques quotidiennes et des cas de plus en plus difficiles. Je crois qu’il nous faut apprendre et tirer parti des réalités de nos territoires et qu’on ne se coupe pas des habitant.e.s, pour construire des ponts et non des murs. Il y a une vraie difficulté à être entendu sur les territoires quand on se présente comme écologiste. Face à cette perception de déconnexion et donneuse de leçons, nous devons travailler, et tendre la main, partout, pour redonner de la fierté, par l’écologie et la justice, à ces territoires.

GEJ : – Est-ce qu’il n’y a pas un problème d’identité également ? Sur cette notion de respect et de fierté d’être d’un territoire, est-ce que les écologistes n’auront pas toujours un train de retard par rapport à l’extrême droite qui surfe énormément là-dessus, sur le folklore et la fierté locale ?

– J’ai justement fait campagne en disant ma fierté d’être drômoise et de me présenter là où j’ai grandi, au milieu de ma famille. Ce sujet de celui qui vient de la Drôme, de celui qui y reste et de celui qui y arrive est très emblématique de notre territoire, avec des néoruraux qui sont de plus en plus nombreux, du fait aussi du confinement, provoquant des tensions entres habitant.e.s. Le développement touristique et l’implantation de maisons secondaires sont ici des questions primordiales.

C’était donc fondamental de rappeler cette fierté et cet attachement à la terre parce que cela portait un projet politique, un attachement à la Drôme, à cette Drôme particulière qui innove, qui est enthousiaste et qui se bouge pour l’écologie, les solidarités, l’accueil des migrants, etc. Pour rendre fier.e.s les habitant.e.s d’appartenir à un territoire qui « déchire » en vrai ! Parce que oui, il y a un sentiment de relégation et d’abandon qui nourrit l’extrême droite, notamment les plus jeunes qui peuvent se dire qu’ils valent moins que les autres, parce qu’il n’y a pas beaucoup de perspectives d’avenir. Il faut lutter contre ce sentiment en redonnant la fierté d’être sur un territoire comme celui-là, avec des services publics, de l’accès aux soins et de la visibilité sur ce qui s’y fait. C’est un des principaux objectifs de mon mandat, montrer ce qui est ultra positif sur mon territoire, grâce aux initiatives militantes et citoyennes.

En fait, la fierté et la défense des territoires font partie intégrante de l’identité écologiste. Les luttes locales et l’engagement, pour défendre une forêt, un écosystème, des zones humides, des terres fertiles… beaucoup de gens le font parce qu’ils sont attachés à leur territoire, qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs. L’écologie politique, c’est aussi le fédéralisme, la subsidiarité, le régionalisme, le respect et la protection des langues et des cultures régionales.

On a donc tout intérêt à porter haut et fort cette défense et cette fierté. Ce n’est absolument pas réservé à l’extrême droite qui, elle pour le coup, est déconnectée. J’ai une élue Rassemblement national dans la circonscription voisine qui n’habite même pas sur le territoire de sa circonscription et n’est pas présente sur le terrain. C’est cette déconnection qu’il faut pointer. Nous nous sommes partout sur le terrain, aux côtés des habitant.es. Il y a donc une fierté à retrouver, une fierté d’habiter un territoire et de vouloir le défendre.

GEJ : – Quelles sont les politiques prioritaires à mener pour des écologistes dans les territoires ruraux comme celui de la Drôme ?

– Il faut qu’on travaille davantage la question de l’aménagement des territoires, que l’on pose réellement la question de la justice territoriale dans l’ensemble des politiques publiques. Toute notre production énergétique est aujourd’hui dépendante de sources ou de production qui sont en fait dans les territoires ruraux et dont dépendent les territoires urbains. L’ensemble de notre production alimentaire aussi dépend de la manière dont on aménage les territoires ruraux. Nous avons la nécessité d’investir massivement ce champ et de penser davantage notre travail programmatique en ce sens. Cela signifie également poser la question des transports. Le droit à la mobilité et l’accès aux services publics sont des nécessités impérieuses. Il ne s’agit pas seulement d’investir dans les lignes du quotidien comme on le dit déjà, mais également d’atteindre les territoires les plus reculés, avec du transport à la demande, du covoiturage, etc. Il faut repenser la manière dont on traite les politiques publiques bien au-delà du fait de dire qu’il faut du vélo en ville et du train à la campagne, en élargissant notre vision.

On sait également aujourd’hui que la majorité des féminicides ont lieu dans les zones rurales, alors que seulement environ 30 % de la population y vit. Les droits des femmes y sont donc un autre sujet majeur. Notre parti est très féministe, et je m’en réjouis chaque jour qui passe, et je crois que nous pouvons aussi porter ces voix, moins audibles.  Notre discours ne s’articule pas encore toujours totalement avec ce que les femmes endurent ici de façon solitaire. J’ai porté ce sujet pendant ma campagne et déposé des amendements pour l’accueil des femmes victimes de violences dans les territoires ruraux.

Il y a évidemment la jeunesse : il faut réussir à donner de la voix à tous les jeunes des territoires ruraux moins incarnés dans les luttes pour le climat alors qu’il y a pourtant plein de jeunes qui se mettent en grève tous les vendredis à Crest ou à Nyons. Mais ils sont de fait éloignés des centres médiatiques. C’est donc mon rôle de les accompagner pour qu’ils soient entendus.

Et puis il y a enfin la question agricole. Nous avons beaucoup de questions à nous poser sur la manière d’aborder ce sujet avec l’ensemble des acteurs pour accompagner les changements de modèle vers la résilience et l’autonomie alimentaire.

En parlant à tout le monde, en évitant d’être dans le jugement mais plutôt dans l’accompagnement, nous avons des leviers pour faire bouger radicalement les choses. Je ne suis pas certaine que discuter avec Christiane Lambert ou avec Willy Schraen à l’échelle nationale va servir à quelque chose. Alors qu’à l’échelle des territoires, le dialogue est possible et essentiel.

GEJ : – Comment d’ailleurs les propositions écologistes en matière d’agriculture sont perçues en zones rurales (agroécologie, diminution de la consommation de viande, relocalisation…) ?

Les constats sont largement partagés, en tout cas dans la Drôme, sur la nécessité de bousculer les vieux modèles de production. Cela ne veut pas dire que les solutions soient toutes partagées, ni que tout le monde en soit au même niveau de « transition », mais nous avons beaucoup de petites installations, connectées aux territoires dans lesquelles elles s’inscrivent, qui peuvent, je crois, être un joli modèle de ce qui pourrait être fait ailleurs.

Promouvoir un autre modèle, c’est bien évidemment déconstruire l’ancien, mais surtout montrer que ce que nous promouvons marche, redonne de la dignité et de la fierté à celles et ceux qui le font vivre, et permet notre autonomie et donc notre résilience collective face aux chocs successifs. Ça veut dire apporter les moyens nécessaires à la transition des exploitations, et redonner de la considération à ces métiers les moins rémunérateurs et les moins valorisés alors même qu’ils sont essentiels. C’est d’ailleurs un défi d’urgence : un agriculteur sur deux partira à la retraite dans les dix ans. Combattre les accords de libre-échange anti-environnementaux et anti-sociaux, valoriser les circuits courts, mieux rémunérer nos paysan-nes, mieux les valoriser face à l’agro-industrie et aux distributeurs, lutter contre l’accaparement des terres et préserver du foncier disponible, tout cela, ce sont des combats que nous portons, et qui sont tout à fait audibles face aux crises que nous subissons.

GEJ : – Pour finir, comment voyez-vous votre rôle et quel est le programme des prochaines semaines concernant cette question de l’écologie en zone rurale ?

– De façon générale, j’essaye dans mon travail parlementaire de penser chaque sujet sous « l’angle mort » de la question rurale. Mais rien n’est organisé dans la 5ième république pour pouvoir faire de la co-construction et de la délibération collective avec les citoyen.ne.s, pour les rapprocher de la fabrique de la loi. J’ai ainsi commencé des permanences itinérantes, car ma circonscription est une des plus étendues de France. On organise notamment des cafés citoyens où l’on invite tout le monde pour discuter ensemble des sujets d’actualité. C’est ma priorité : être très présente sur le terrain, dans les petits villages, sur les places de marché, car beaucoup de gens ne pousseront jamais la porte d’une permanence. C’est très enthousiasmant d’aller rencontrer les gens sur les territoires. Ce sont d’ailleurs souvent des jeunes femmes qui viennent me voir pour souligner leur envie d’agir et de changer les choses et je les accompagne dans leur envie d’agir. Si je peux au moins servir à cela. »